Les grands crus sont une classe d’actifs qui ne connaissent pas les turbulences des marchés. Ils représentent un investissement patrimonial rentable à condition d’être bien conseillés, et d’avoir de l’argent.
«En 2022, l’index de référence des vins, Liv-ex 1000, a augmenté de 15%», note Denis Houlès, fondateur et directeur général de 1275 Collections, une société qui constitue et gère des collections de grands vins pour des clients privés.
Faut-il rappeler que le SMI, l’indice phare de la bourse suisse, a perdu plus de 16% depuis le début de l’année? «Le marché du vin est décorrélé de tous les autres marchés financiers et de matières premières. Sa seule corrélation a trait au nombre de millionnaires: plus ils sont nombreux, plus les prix augmentent», ajoute Denis Houlès. Pour bénéficier de cette décorrélation, il faut investir dans des grands crus, qui représentent moins de 1% de la production totale de vin. L’offre ne peut s’adapter à la demande croissante. D’autant moins que les changements climatiques contraignent la production des grands crus.
Investir dans le foncier ou dans une cave?
Il y a plusieurs manières d’investir dans le vin – avec une optique patrimoniale et non seulement pour le boire. Des petits porteurs pourront acheter des actions ou des ETF qui suivent la performance d’entreprises exposées au secteur du vin. Cette exposition est toutefois partielle, le vin n’étant qu’une part infime au sein d’un portefeuille d’activités, de groupes de luxe, par exemple. Ces valeurs résistent mieux que les autres aux cycles boursiers baissiers, et sont moins volatiles.
Pour une exposition directe, d’autres solutions existent, mais ne sont pas à portée de toutes les bourses. L’une d’entre elles consiste à investir dans la propriété foncière, soit en acquérant un vignoble, soit une part d’un domaine viticole. Dans le premier cas, «il faut être milliardaire avant de compter pouvoir être millionnaire», explique Jean-Louis Mercier, président d’Atlanterra Agriculture Durable, une société de conseil en investissement dans le secteur agricole. Le prix moyen de l’hectare de vignes est d’environ 148 000 euros en France, et tombe à 72 500 euros par hectare de vignes en excluant la Champagne. Pour une part de domaine, les tickets d’entrée restent élevés, d’au moins 20 000 euros. Les rendements varient de 1 à 4% par an en fonction des régions en France, les porteurs de part étant également rémunérés en bouteilles.
La constitution de collection de vins fins permet d’obtenir des retours sur investissement plus substantiels. Elle peut se faire avec ou sans conseillers. Le journaliste indépendant expert en vins Pierre Thomas préconise le recours à une aide extérieure. Elle permet de lisser les coûts de stockage, de faciliter la diversification de la sélection et, surtout, de garantir la traçabilité des vins.
Pour Denis Houlès, c’est un enjeu majeur à l’heure où les faussaires se multiplient: «Il est essentiel pour un investisseur de s’assurer de la provenance des vins, car cette dernière conditionne sa qualité. Plus un vin a été transporté, manipulé, comme c’est le cas trop souvent sur le marché secondaire, plus les risques d’éroder sa qualité et son potentiel augmentent. A contrario, un vin traçable conservé dans les règles de l’art se vendra plus cher pour un même millésime. Il générera deux fois de l’alpha: celui lié à la sélection de son nom, et celui de la prime liée à la qualité de sa préservation.»
Un investissement à long terme
Une collection nécessite 100 000 francs, qui peuvent être investis en plusieurs tranches de 25 000 francs. Ces sommes rondelettes se justifient par la cible, des grands crus uniquement, et par le besoin de diversification. Le prix moyen à l’achat des vins des portefeuilles des clients de 1275 Collections est de l’ordre de 200 à 300 francs la bouteille. Ils ont connu une hausse de 8,7% par an sur les quinze dernières années. Les frais de gestion perçus par l’entreprise s’élèvent à 1,8% par an. Ils couvrent tous les frais – le transport, le stockage, le traçage, etc.
Il faut être patient. La durée de détention doit être d’au moins sept à dix ans. Selon Denis Houlès, l’investissement dans les vins ressemble beaucoup à celui dans le private equity. Tous deux portent sur des actifs réels qui prennent de la valeur avec les années. Le marché secondaire des vins est un peu plus liquide. La grande différence est que les investisseurs dans les grands crus sont des amateurs pour qui l’objectif de rentabilité passe après leur passion. Ils sont conscients que «les grands vins d’aujourd’hui sont des trésors de l’humanité qui vont se raréfier avec les bouleversements climatiques. Ils ne peuvent que prendre de la valeur. D’ici vingt ou trente ans, ils seront introuvables», conclut le fondateur de 1275 Collections.
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Article par Le Temps – Anne Barat